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Lifestyle

Ne me demandez pas si je vais bien

Mardi 24 novembre 2015

Ne me demandez pas si je vais bien

 

J’aurais voulu ne jamais avoir à écrire ces lignes. Pas que les mots qui suivent soient nécessaires ou très utiles ; mais je crois que j’en avais besoin. Disons que dans cette période indescriptible, vous parler de ce monde, de cet événement tragique qui a touché Paris, à travers les yeux de ma petite personne, ça coûte moins cher qu’un psy. J’ai juste eu envie de vous conter mon ressenti et en quoi la vie a changé.

 

prayforparis

 

Le vendredi 13 novembre 2015 était une belle journée. Sans Internet à mon domicile depuis plusieurs jours, je me suis levée en ignorant que Beyrouth avait passé une triste nuit. Je me réjouissais d’assister à un excellent événement que j’attendais depuis des mois le lendemain, pour lequel j’avais pris congé exprès, et j’ai passé ma matinée à peindre. J’ai utilisé le journal du matin que j’avais récupéré en plusieurs exemplaires pour en lire un plus tard et utiliser l’autre pour recouvrir ma table et mon mur. J’ai sourit quand j’ai vu la publicité du Loto avec une grande tartine qui scandait « Aujourd’hui, votre tartine tombera du bon côté » et j’ignorais totalement que nous étions un vendredi 13. En fin de matinée je suis partie travailler, les mains pleines de peinture, j’ai failli sortir en pantoufle et sans mes clés, je l’ai raconté à mon collègue par sms et lui disant « Ça s’annonce bien pour la suite de la journée haha ». Il s’est foutu de moi et m’a demandé si j’avais pris de la drogue, on a fini par se dire que j’avais dû inhalé trop de peinture.

Les mots qu’on ne veut ni lire ni entendre …

En quittant La Défense avec le RER de 21h10, j’étais super contente. On avait fait des super chiffres au boulot, on rigolait par téléphone avec mon collègue comme quoi on allait peut-être avoir une prime. En sortant du métro près de chez moi, à l’autre bout de la ville, j’ai vu une ambulance passer, un combi de police … On est à Paris, ça ne m’a pas choquée. Je suis rentrée chez moi, je devais manger vite fait avant de rejoindre des amis qui étaient sensés être partis faire la fête dans un bar, dans la rue, pour le départ de l’un de nous qui repartait en Belgique le lendemain après plusieurs mois passés ici. Je suis descendue à l’accueil récupérer mon plat que j’avais réservé en sachant que je terminerais tard au boulot. Depuis le hall d’entrée, j’ai aperçu pas mal de monde devant la télé de la salle commune, ça ne m’a pas étonnée, je savais que l’équipe de France de football affrontait l’Allemagne en amical ce soir. Puis j’ai entendu deux mots. « Deux explosions ». Je me suis dirigée rapidement vers l’écran. J’ai lu « Attentats – Paris – explosions – kamikazes – morts – blessés ». J’ai demandé « Qu’est-ce qu’il se passe ? » Une amie m’a répondu « Il y a eu des explosions près du Stade de France, des mecs se seraient fait sauter. Apparemment il y a des attentats à plusieurs endroits. M et L (les premières lettres des prénoms de deux amies qui habitent dans le même bâtiment) sont sorties acheter des cigarettes et elles ont entendu une explosion. Il se passe quelque chose dans la rue, V et Q (les premières lettres des prénoms de deux amis qui résident également avec nous) sont partis voir. On ne sait pas trop. »

Les yeux rivés sur une réalité qu’on espérait impossible

Je me suis assise avec tous les autres, on était de plus en plus au fil du temps. Tout le monde envoyait des messages, téléphonait. On voulait savoir si nos amis et nos proches étaient en sécurité. On avait des petits soulagements égoïstes à chaque fois qu’on recevait une réponse positive, puis on relevait les yeux et on voyait que des dizaines de personnes étaient prises en otage dans le Bataclan. Le nombre de morts augmentait. Le nombre de blessés aussi. On avait l’impression de voir un film, on ne réalisait pas. Étant majoritairement étrangers, certains recevaient encore des messages qui n’avaient rien avoir de la part de leur famille ou de leurs potes car ces derniers n’étaient pas encore au courant « Dis tu n’as pas une carte d’étudiant français par hasard ? J’aimerais bien acheter un truc sur Internet et ça me coûterait moins cher ainsi. » Ça nous a fait rire. Ça nous replongeait dans une banalité qui nous faisait du bien, dans notre vendredi d’il y a quelque heures, quand tout allait pour le mieux.

Le garde de sécurité est venu fermer le rideau de l’énorme fenêtre qui ne cache rien de la pièce où on était tous aux passants dans la rue. Il a fermé les lumières et nous a demandé de ne pas se montrer, de ne pas sortir. J’ai reçu des dizaines de messages sur Facebook et Twitter, sans Internet je n’ai pas pu en prendre connaissance et encore moins répondre aux gens. J’ai donné de mes nouvelles à certains par le biais d’amis en France à qui j’ai envoyé des textos (mon forfait bloqué ne me permet pas d’envoyer des messages à l’étranger) pour qu’ils donnent de mes nouvelles sur la Toile. Ayant bloqué à peu près tout ce qu’il est possible de bloquer sur Facebook, impossible pour eux de mettre un message sur mon mur, confirmer que j’étais en sécurité sur l’alerte safety. Seule ma sœur m’a téléphoné. De nos jours on ne se parle plus que par les réseaux sociaux, ce n’est presque pas étonnant.

Le garde est revenu, il nous a demandé si on connaissait une certaine personne, en citant son nom. On s’est tous regardé, on a baissé les yeux et quelqu’un a osé, d’une petite voix, demander « Pourquoi ? Il est mort ? » C’était juste son frère qui essayait de le contacter en vain et qui avait donc téléphoné à l’accueil. L’ambiance était pesante et je me suis dit « Mais dans quel monde vivons-nous pour se poser cette question quand on nous demande si on a vu quelqu’un ? » Je ne voulais toujours pas y croire.

Un bilan qui fait mal

Vers trois heures du matin, on savait qu’on en saurait pas beaucoup plus que ce qui tournait en boucle. J’espérais que le nombre de morts annoncé soit bien plus gros que la réalité, qu’ils se soient emballé dans les événements. Je voulais me réveiller quelques heures plus tard en apprenant qu’en fait, c’était horrible, mais un peu moins qu’on le pensait.

Quand j’ai ouvert les yeux, je me suis d’abord demandé si j’avais fait un cauchemar. J’ai regardé par ma fenêtre, j’ai vu quelques personnes marcher. Mais mon cœur était bien trop lourd pour essayer de me faire croire que ces tragiques événements n’avaient pas eu lieu. J’ai réussi à me connecter sur un réseau Internet avec mon téléphone, juste de quoi poster un petit message pour rassurer tout le monde et lire quelques réactions ahurissantes de personnes se souciant d’un voyage à Paris qu’ils ont prévu pour dans plusieurs mois. J’ai levé les yeux au ciel, cette génération 2.0 me dépasse parfois, je préférais quand les réseaux sociaux n’étaient pas là pour nous faire profiter de toutes les conneries que pensent les gens parfois. Je me suis dit que je préférais ne rien voir de tout ça, je me suis déconnectée. Je suis descendue et malheureusement, toutes ces personnes annoncées quelques heures plus tôt, elles nous avaient bel et bien quitté … On a replongé les yeux dans l’écran, avant de pointer le bout de notre nez dehors.

Le Bataclan, Charonne, la rue Bichat, le stade de France …

En janvier, les attentats contre Charlie Hebdo et l’hyper cacher nous avaient beaucoup touché. Cela avait été une étape difficile à vivre et nous avions fait de notre mieux pour garder la tête haute, pleurer les pertes humaines tout en criant qu’on était forts et qu’on ne nous terroriserait pas avec une violence gratuite et inhumaine. Ils avaient visé des journalistes, des gens qui avaient osé utiliser leurs crayons pour illustrer des pensées qui ne méritaient pas un tel sort et une religion, sans raison aucune. En ce mois de novembre, ils ont visé le peuple français dans sa globalité, dans sa diversité, dans les sorties que nous faisons tous. Personne ne peut dire qu’il ne s’est jamais retrouvé dans la foule d’un concert, n’a jamais assisté à un événement sportif, n’a jamais mangé dans un restaurant ou n’a jamais été boire un verre en terrasse. Des sorties toutes très festives. C’est notre quotidien, simple, qui a été touché. C’est notre liberté, qu’ils ont essayé d’entacher. C’est notre façon de vivre qu’ils détestent. C’est notre jeunesse qu’ils ont tenté d’effrayer. C’est notre fraternité et nos moments festifs qu’ils ont eu envie d’anéantir.

Le Bataclan, je connais bien, j’y suis allée plusieurs fois. J’y ai vécu de supers moments, j’en garde de bons souvenirs.

La rue Bichat m’est moins familière. Le boulevard Voltaire, c’est mon quartier.

La rue de Charonne par contre, j’y habite. Le bar La Belle équipe, ça me parle, j’y passais souvent. Encore plus le restaurant japonais juste à côté, où j’ai mes habitudes. C’est MON restaurant à Paris et j’y ai emmené tous mes amis qui sont passé me rendre visite depuis que j’habite ici. J’ai arrêté de compter le nombre de fois où j’y ai mangé, et le nombre de fois où je suis passée là-bas prendre un plat à emporter pour l’engouffrer devant un épisode de série. Et ça ne fait qu’une année que je le connais.

Le stade de France, une icône. Je le regarde à la télévision depuis mes plus jeunes années et j’ai eu l’occasion d’y aller depuis que je me suis installée dans la capitale.

Je vous épargne le « J’aurais pu y être » qui n’a pas lieu d’être. Ça a dû me traverser l’esprit, certes. Mais je n’y étais pas, contrairement à tous ces gens … Il y a l’effet de proximité : c’est mon pays, ma ville, ma rue, des lieux où je vais. Je comprend les « Ça aurait pu être vous et moi » lancé par des passants aux journalistes qui tendent leurs micros à qui veut bien donner son ressenti sur ce qu’on vit. Je comprend les « Je devais y aller mais j’ai changé d’avis en dernière minute, c’est fou, j’ai eu de la chance ». J’ai juste mal au cœur pour ceux qui entendent ça alors qu’ils ont perdu quelqu’un. Juste la souffrance que ce doit être pour eux, qui aurait aimé entendre leur(s) proche(s) en dire de même. Ça aurait pu être nous, mais ce n’était pas nous, alors stop.

Ça m’énerve, ceux qui critiquent

Depuis cette horrible soirée, à côté des témoignages, des pleurs et autres, j’ai entendu ou lu des gens critiquer. Généralement, la société de consommation dans laquelle nous évoluons, notamment à cause de ces appels à tous les Parisiens d’aller boire des verres en terrasse. Parce que « ça ne changera rien vis à vis des terroristes et ça ne sert qu’à dépenser de l’argent pour consommer ». Effectivement, ces deux affirmations sont vraies. Est-ce qu’aller boire un verre en terrasse va aider la lutte contre le terrorisme ? Même si ce serait merveilleux, la réponse est non. Est-ce qu’aller boire un verre en terrasse va donner de l’argent aux commerces que sont les bars ? Avec certitude, la réponse est oui. Alors pourquoi ceux qui affirment ça haut et fort m’emmerdent profondément ?

  1. Parce qu’à ce que je sache, ne pas faire couler une profession (ici le secteur HoReCa) n’est pas un crime. Je ne voudrais pas voir des bars avoir des difficultés financières soudaines parce que les gens ont peur, ça servira à qui ? Mise à part aux marques qui vendent leurs alcools dans les supermarchés car les gens vont se rabattre sur l’acheter en magasin et le consommer chez eux. Retirer de l’argent à certains pour le donner à d’autres, toujours acteurs de la société de consommation, ça ne change rien.
  2. Parce que ceux qui disent cela ne sont peut-être pas à Paris, parmi nous. Et alors, avant de critiquer, sachez que ça nous aide. Je n’ai pas répondu à l’appel « Tous au bistrot ». Je ne compte pas aller boire un verre en terrasse plus que ce que je ne le faisais avant. Mais inviter tout le monde a reprendre le cours de sa vie, continuer ses faits et gestes, sortir : c’est juste un moyen de recommencer à vivre, de ne pas s’arrêter. De panser nos plaies. On a tous le droit de se réconforter et soigner notre moral comme on le peut, comme on le veut et comme on en a besoin. Se réunir, reconnecter avec nos petites habitudes. Vous n’êtes pas d’accord avec moi ? Très bien, je respecte les avis de chacun. Je dis juste que c’est bien connu, quand on monte à cheval et qu’on tombe, il faut se remettre en selle au plus vite au risque d’attendre trop longtemps et d’avoir de grosses difficultés à recommencer. Alors on a juste dit aux gens d’aller boire un verre en terrasse, avant de ne plus le faire pendant trop longtemps !
  3. Parce que c’est un effet placebo. On le sait que boire un verre ne va pas décevoir les terroristes et leur faire arrêter leurs actes « Ah ben mince, ces cons sortent encore dans la rue. On a raté notre mission les gars, on arrête tout, rangez les armes ! » Ce serait trop beau. Mais si dans une période noire, on veut s’accrocher au peu qu’on a, à un minime espoir, à un rêve impossible mais anodin qui nous donne envie de sourire, pourquoi se priver ? Si quelqu’un veut croire avec innocence quelques instants que cette petite action va changer quelque chose, pourquoi ne pas lui laisser cette vaine envie, pour l’aider à aller mieux ? Si quelqu’un veut croire qu’aller boire un verre en terrasse va aider, qui sommes nous pour lui dire que c’est débile, que c’est inutile, que c’est vain, que c’est donner de l’argent et du pouvoir à la société de consommation ? J’ai envie de leur dire d’aller commander des bières, des cafés, des cocktails, des thés, des limonades. Parce que c’est comme quelqu’un qui mange du chocolat après une rupture. Dans les faits ça n’aide pas, mais ça joue sur le moral et le psychologique, alors où est le problème ?
  4. Parce que ça m’énerve de souligner le côté négatif d’une situation quand on est déjà en plein cauchemar, dans une ambiance atroce, en deuil. Je ne dis pas qu’on doit se taire, qu’on doit passer sous silence ce qui ne va pas. Mais on sait toutes et tous que le monde n’est pas tout rose. Que les licornes n’existent pas, la magie non plus, les champs de paillettes non plus, l’alcool sans modération qui n’aboutit pas à une gueule de bois non plus, un salaire sans rien foutre non plus, l’extermination des bouchons de circulation qui font chier tout le monde aux heures de pointe non plus, des desserts à gogo sans prendre un gramme non plus, s’offrir un sac Chanel quand on gagne le SMIC non plus. On critique la société de consommation à longueur d’année, vous croyez qu’on en a vraiment quelque chose à foutre ici et maintenant ? Laissez nous guérir, on en reparle après. On sera même plus enclin à vous écouter, à vous dire qu’on est d’accord ou non.

 

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Plus rien ne sera comme avant …

Alors oui, on s’est dit qu’on allait continuer à vivre normalement. Qu’on n’allait pas avoir peur. Même si ces tueurs inhumains ne se réjouissent que du nombre de personnes parties trop tôt et que notre volonté de faire preuve de courage et de reprendre notre quotidien, ils s’en foutent. Parce que moi, ça m’a fait du bien de sortir samedi, voir le ciel qui avait l’air de ne pas être au courant. Regarder les gens et comprendre par un regard qu’on était solidaires, qu’on venait de vivre un truc horrible, que notre cœur pleurait, que notre moral était en miettes mais qu’on allait survivre dans ce monde de fous, qu’on allait pouvoir vivre malgré tout. Qu’on allait sourire et rire à nouveau prochainement. Qu’on allait fêter et profiter de la vie, tout ce que les trop nombreuses victimes ne pourront plus jamais faire. Qu’on allait vivre doublement, pour eux. Ça m’a fait du bien de croiser le vendeur ultra gentil de chez Picard qui nous a fait oublier le chagrin quelques instants, en nous parlant de ses desserts préférés pour nous aider dans notre choix. Ça m’a fait du bien de regarder les enfants, qui dans leur innocence ne comprenaient pas bien ce qu’il venait de se passer ; ou qu’on allait leur faire croire, comme à Brandon dans Le Petit Journal qu’on ne doit pas avoir peur, que la France c’est notre pays et que si ces monstres sortent les armes, nous on a les fleurs et les bougies, et qu’elles sont aussi fortes que les balles. Parce que si eux ils y croient, peut-être qu’on peut y croire aussi.

Je n’ai jamais eu besoin d’un tragique accident pour savoir qu’on peut s’en aller à tout moment, que tout peut arriver et qu’ils faut du coup vivre en conséquence, profiter pleinement de la vie. C’est d’ailleurs avec cette base que je construis chacune de mes journées. C’est avec cette réalité en tête que j’ai déménagé à Paris, que je savoure chaque instant et planifie tous mes projets. Je dis même « Adieu » et non pas « Au revoir » aux gens quand je pars, ils sont toujours étonnés, j’explique à chaque fois « Tu sais, on ne sait jamais, tout peut arriver, je peux me faire renverser par une voiture en sortant d’ici. Au moins je t’aurai dit adieu ». C’est devenu anecdotique, ils me répondent « T’es positive comme fille, c’est cool ! » en riant, mais c’est vrai. C’est juste une façon de garder en tête à tout moment que la vie est courte, et parfois malheureusement encore plus courte qu’on ne le prévoyait. Je trouve ça important, c’est mon moteur.

Je ne compte pas rêver ma vie, mais bien vivre mes rêves. Mais rien ne sera comme avant.

Parce qu’on ne passera plus devant La Belle Equipe sans y repenser. Que les impacts de balles sur les murs de tous ces lieux qu’on connaissait par cœur vont toujours nous faire repenser à l’abominable. Que la prochaine fois qu’on ira au Bataclan, ça nous pendra aux tripes, de mettre les pieds sur le sol où ces gens ont souffert, pleuré, prier, espérer, crier, supplier, eu l’envie de croire que rien n’était impossible et qu’ils allaient en sortir vivants. Qu’à tous ces endroits, on aura un haut le cœur, les larmes au bord des yeux en sachant qu’ici même, une personne comme vous et moi, qui avaient des projets, des rêves, une personnalité, une joie de vivre, une passion, une famille, des amis et bien d’autres, a donné son dernier souffle, a pensé très fort à tout ce qu’elle aurait voulu faire, à tout ce qu’elle aurait voulu dire ; a croisé les doigts pour serrer dans ses bras ses proches une dernière fois ; a arrêté de respirer pour simuler sa propre mort, a souffert en silence, a connu une horreur inimaginable, des derniers instants dans une violence indescriptible. Que d’ici même, où nous nous trouvons, des âmes innocentes sont montées là-haut, ou peu importe ou vous pensez qu’elles soient. Qu’à cet endroit précis, l’histoire de la France a connu un épisode noir qui a bouleversé un peuple, l’a touché en plein cœur. Qu’à cet endroit précis, des personnes qui ont perdu quelqu’un vont venir se recueillir. Qu’à cet endroit précis, certaines personnes vont essayer de trouver une explication, une raison, une réponse à nos « Pourquoi ? » qui resteront à tout jamais en suspens. Qu’à cet endroit précis, dans une marre de sang, quelqu’un a vu défiler sa vie une dernière fois, en emportant avec lui l’image d’un monde triste et injuste. Qu’à cet endroit précis, des connards de merde que les mots ne peuvent décrire ont prit leur pied, une kalachnikov à la main.

Notre nouveau quotidien

Une amie m’a dit « C’est vrai qu’on fait de notre mieux mais moi, je sursaute dès que j’entends un bruit, même si c’est simplement un objet qui tombe ». Il n’est pas rare de croiser quelqu’un avec des larmes dans les transports en commun et les alertes aux colis suspects ont augmenté en flèche, comme après janvier dernier. Je mentirai si je niais ne pas avoir regardé autour de moi à de nombreuses reprises ces derniers jours et m’être dit que ça pourrait recommencer, là, maintenant. Ne pas avoir regardé toutes les personnes autour de moi en me disant que j’avais peut-être croisé les terroristes avant qu’ils n’agissent. Ou à l’opposé les victimes avant qu’elles ne s’envolent. Et je mentirais si je n’avouais pas qu’à chaque fois que j’entends une sirène de police ou d’ambulance, je baisse les yeux, parce que ça me rappelle les passages incessants de tous ces véhicules cette nuit-là. Et que mon cœur s’arrête en attendant de voir et entendre si il y a plusieurs véhicules qui se suivent ou non. Et je mentirais si je n’avouais pas qu’après avoir pris l’habitude de faire fouiller mon sac à l’entrée des lieux publics et centres commerciaux, qu’on me demande d’ouvrir ma veste et qu’on me passe en plus au détecteur de métaux m’a donné les larmes aux yeux. On sort, on boit, on danse, on se promène mais non, on est pas si forts que ça. Mais non, tout ne va pas aller. Oui, on sait qu’ils le savent qu’on a mal au fond de nous et qu’ils en sont heureux, ces monstres. Et contrairement à nos peurs d’enfants, effrayés par ce qui pouvait se trouver sous notre lit, plus aucun adulte ne peut nous rassurer pour nous dire qu’on a tout imaginé, que rien ne va nous arriver.

Et puis il y a eu le Mali, la peur à Bruxelles (apaisée grâce aux chats et l’humour belge, légendaire). Comme un rappel, une énième fois, que non, ce n’est pas fini.

Les pétards ne font plus la fête

Tous les témoignages commencent toujours plus ou moins pareil « On a entendu un bruit, comme un pétard ». A l’heure des festivités de la fin d’année qui approchent, on a tous envie de croire avec innocence que toutes les peines du monde sont de simples pétards. Mais on en a tous peur maintenant. On a l’habitude de faire la fête avec les pétards, pas de compter les morts.

Maintenant, on va fêter Noël tous ensemble, comme on a vécu ces événements ; ensemble, avec solidarité. Car cette violence a fait ressortir à nouveau ce qu’il y a de plus beau dans l’humanité : le partage, la solidarité, l’entraide. En ouvrant les portes de nos cocons cette nuit-là, en se remontant le moral, en se serrant les coudes. Car on se rend compte que c’est un peu tout ce qu’il nous reste. Alors oui, chers terroristes, vous nous avez fait mal, mais vous ne nous avez pas anéantis non plus. Comme le phoenix qui renaît de ses cendres, on se relève petit à petit et nos valeurs que vous haïssez, on va en être encore plus fiers. Et vos croyances, vous ne nous les inculquerez pas. Vous ne nous ferez pas croire non plus en votre Dieu inexistant, que vous osez nommer après un autre, celui d’une religion que vous salissez. Vous nous avez fait pleurer, saigner, vous nous avez ôter des êtres chers. Mais la victoire, vous ne l’aurez pas. Car même dans nos derniers souffles, vous ne détruirez jamais qui l’on est, en tant qu’individu et en tant que peuple.

Je n’ai perdu personne, mais …

A mes amis, mes connaissances, je voudrais simplement vous dire que je reçois tous vos messages, que j’ai pris connaissance de vos gestes, vos pensées, vos attentions. Que je ne peux moralement pas vous répondre, pardonnez-moi tous les messages restés dans le vide.

Je n’ai perdu personne, je n’ai pas été blessée, je n’ai pas vu toutes ces horreurs de mes propres yeux, je n’ai pas eu à espérer voir ma vie épargnée. Mais s’il vous plaît, ne me demandez pas si je vais bien, ne m’obligez pas à vous mentir.

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© Par C.M. avec AFP, trouvée sur le site d’Europe 1

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